Nos sociétés ne cessent d’évoluer dans leur rapport au temps. Un temps qui s’accélère implacablement pour sacrer le règne tyrannique de l’immédiateté.
Nos pensées, nos paroles et nos actions se succèdent comme des claquements de doigts.
Entre désir et urgence, leur intensité est rythmée par une vaine et paradoxale recherche d’éternité. Cette sensation de fuite du temps se double d’un besoin de le dominer et de le posséder en l’accélérant.
On le sait, les artistes sont le miroir de leur époque qu’ils représentent, critiquent, caricaturent ou embellissent. Mais leur force demeure surtout dans leur faculté à anticiper le monde de demain. J’ai choisi de réunir dans l’exposition « SNAP TIME IS OVER » de très jeunes artistes qui, sans prescrire un retour au passé, prennent le contrepied de ce constat et avancent, chacun à leur façon, dans une réflexion et démonstration commune d’un nécessaire temps long.
Conscients des dégâts sournois occasionnés par un culte ravageur voué à l’instantanéité, ils nous invitent à nous soustraire de cette aliénation miroir de nos égotismes, pour retrouver le goût de la nature et celui de la relation à l’autre, tout simplement.
Le sauvetage de notre environnement survivra-t-il à cette normalisation du temps réel ?
Question implicitement posée par l’artiste-marcheur Vincent Laval qui puise son inspiration au cœur des forêts où il piste les indices du temps. Il y cueille des morceaux d’arbres pour réaliser des œuvres qui retranscriront ses sensations en volume par la sculpture, ou en image par la photographie.
Interrogation partagée par Adrian Geller qui dans ses peintures-fables à la narration puissante et sensible oppose l’homme et la nature dans leur combat inégal et féroce, allant jusqu’à intégrer dans ses accomplissements des techniques artisanales fidèles à sa conception d’un modèle économique décroissant.
Ce thème est également très cher à Léa Dumayet qui vient nous questionner par sa pratique sculpturale alliant dans un fragile équilibre des produits manufacturés et des matériaux naturels, toujours placée à l’extrême limite du point de rupture.
C’est encore de la beauté du temps transformé dont il est question dans le travail sur verre de Marion Flament né de son observation des phénomènes physiques et des sensations qui se dégagent de notre expérience du quotidien, avec comme vecteur transversal la lumière révélatrice de la matière.
Mélissa Boucher a choisi d’approfondir continûment sa pratique de la photographie de l’intime pour mieux explorer et révéler son ambiguïté, n’est-ce-pas là une preuve de résistance aux multiples instantanés postés sur les réseaux sociaux ? Tout comme sa confrontation sans détours à la matière de la pellicule dont elle malmène les images, les effaçant, les découpant, les zoomant en quête d’un sens souvent caché.
Il y a les personnes qui se soumettent à la frénésie de l’instant, dans une sorte de servitude volontaire, en feignant parfois de vouloir y échapper pour finalement mieux l’étreindre.
Et fort heureusement, il y a celles qui préfèrent prendre le temps. Celui d’admirer de beaux paysages, comme ceux de Claire Nicolet, où l’architecture et la végétation dialoguent harmonieusement dans un décor inhabité et idéal de beauté, dont le motif parfait et répété éprouve le passage du temps, interprétation sublimée de la réalité.
Ou encore celles qui se préoccupent des gens. Elvire Caillon s’intéresse à ce qui les rapproche ou les éloigne les uns des autres. Elle les peint dans des scènes quotidiennes de vie tranquille et heureuse, aux couleurs vives et suaves. On envie cette plénitude même si elle s’apparente à un monde certes parfait mais utopique. On se laisse bercer par la densité et l’énergie des compositions qui invitent sincèrement à la fraternité et la solidarité.
Les gens sont aussi au cœur du travail de Louise Janet qui dans ses dessins extrêmement denses et saturés deviennent malgré eux les acteurs impuissants d’un monde encombré et jamais rassasié. Ces illustrations, telles une épopée de la banalité, conservent la trace de tous ces moments que l’on oublie avant même qu’ils aient cessé d’exister.
Le temps étant une illusion, le moment de changer d’ère et de rompre définitivement avec cette croyance dévastatrice selon laquelle le bonheur se trouve dans l’immédiateté n’est-il pas enfin venu ?
Partir « A la recherche du temps perdu » est le propos de l’exposition « SNAP TIME IS OVER » portée par le talent et l’énergie créatrice de 8 jeunes et merveilleux artistes.
Marianne Dollo
Commissaire d’exposition
Our societies are constantly evolving in their relationship with time. Time is accelerating relentlessly to crown the tyrannical reign of immediacy.
Our thoughts, words and actions follow one another snaps of a finger.
Between desire and urgency, their intensity is punctuated by a vain and paradoxical search for eternity. This sensation of time running away is coupled with a need to dominate and possess it by accelerating it.
As we know, artists are the mirror of their time, which they represent, criticise, caricature or embellish. But their strength lies above all in their ability to anticipate the world of tomorrow. I have chosen to bring together in the exhibition “SNAP TIME IS OVER“ very young artists who, without prescribing a return to the past, take the opposite view and move forward, each in their own way, in a common reflection and demonstration of a necessary long time.
Aware of the insidious damage caused by a devastating cult devoted to instantaneity, they invite us to escape from this alienation that mirrors our egotisms, to rediscover a taste for nature and for relationships with others, quite simply.
Will the rescue of our environment survive this normalisation of real time?
This question is implicitly asked by the artist-walker Vincent Laval, who draws his inspiration from the heart of the forests where he tracks the clues of time. He picks pieces of trees to create works that will transcribe his sensations in volume through sculpture, or in image through photography.
This question is shared by Adrian Geller who, in his fable-paintings with a powerful and sensitive narrative, opposes man and nature in their unequal and ferocious combat, going so far as to integrate into his achievements artisanal techniques that are faithful to his conception of a diminishing economic model.
This theme is also very dear to Léa Dumayet, who questions us by means of her sculptural practice combining manufactured products and natural materials in a fragile balance, always placed at the extreme limit of the breaking point.
Marion Flament‘s work on glass, born of her observation of physical phenomena and the sensations that emerge from our daily experience, is also about the beauty of transformed time, with light revealing the material as a transversal vector.
Mélissa Boucher has chosen to continually deepen her practice of intimate photography in order to better explore and reveal its ambiguity, is this not proof of resistance to the multiple snapshots posted on social networks? Just like her straightforward confrontation with the material of the film, whose images she mishandles, erasing, cutting out, zooming in on an often hidden meaning.
There are those who submit to the frenzy of the moment, in a kind of voluntary servitude, sometimes pretending to want to escape it in order to better embrace it.
And fortunately, there are those who prefer to take their time. The time to admire beautiful landscapes, like those of Claire Nicolet, where architecture and vegetation dialogue harmoniously in an uninhabited and ideal setting of beauty, where the perfect and repeated pattern experiences the passage of time, a sublimated interpretation of reality.
Or those that are concerned with people. Elvire Caillon is interested in what brings them together or what distances them from each other. She paints them in everyday scenes of a quiet and happy life, with bright and sweet colours. We envy this plenitude even if it is similar to a perfect but utopian world. One is lulled by the density and energy of the compositions, which sincerely invite brotherhood and solidarity.
People are also at the heart of Louise Janet's work, and in her extremely dense and saturated drawings they become, in spite of themselves, the powerless actors of a cluttered and never-fulfilled world. These illustrations, like an epic of banality, preserve the trace of all those moments that we forget before they even cease to exist.
Since time is an illusion, has the time not finally come to change the era and break definitively with the devastating belief that happiness is found in immediacy?
The exhibition “SNAP TIME IS OVER” is a search for lost time, and is supported by the talent and creative energy of eight young and wonderful artists.
Marianne Dollo
Curator of the exhibition