PÊCHE
un showroom d’Amélie Lucas-Gary
du 22 juin au 20 juillet 2024
Ma sœur m'a parlé l'autre jour de son monde intérieur. Quand elle a dit ça, je me suis approché, j'ai regardé son iris de très près, et j'ai vu ce trou noir dans son œil. J'ai eu peur comme au-dessus d'un puits sans fond. On a déjeuné, mais je n'arrivais plus à la regarder en face. Je ne voudrais pas tomber dans le puits d'un autre. J'ai bien senti qu'elle avait compris quelque chose, mais comme d'habitude elle n'a rien dit. Elle respirait, et son souffle paraissait suivre les ondulations de la tâche irisée qui flottait au plafond.
Quand elle a enfin quitté la pièce, j'ai de nouveau pu entendre la voix qui parle à l'intérieur de moi. Tant qu'elle parle, je ne dors pas. Et si je peux l'écouter, c'est qu'à l'intérieur, on est deux, ou peut-être davantage. C'est beaucoup plus grand dedans que mon corps ne le laisse croire de l'extérieur. On n'y voit rien, mais c'est aussi vaste que dehors. J'habite une vieille maison. Dedans, dehors, c'est le même espace pourtant, et si j'ouvre la porte, la lumière entre. C'est une lumière chaude baignée par les couleurs des platanes et du sol calcaire. L'image arrive avec. Elle se reflète. Ce double est un peu en dessous : comme atténué. On dirait du velours. C'est sur la peau d'une pêche, avec des tons chauds, qu'un monde existe à l'intérieur de moi.
T. Podilsky, Orange, Ed. Mars, Bruxelles, 1992
Amélie Lucas-Gary écrit des romans.
À l'occasion de la parution chez September books de Mauve, un livre réunissant une partie de ses peintures, la galerie présente une sélection inédite de ces petits formats.
Il y a trois ans, alors qu’elle déménageait, pour se souvenir des lieux qu’elle quittait, Amélie Lucas-Gary a en effet commencé à peindre sur le motif, chez elle, et dans des endroits où elle passait du temps. Entre 2021 et aujourd'hui, elle a ainsi réalisé quelques deux-cents gouaches sur carton.
My sister told me the other day about her inner world. When she said that, I drew near, I looked at her iris up close, and I saw the black hole in her eye. I felt a fear as above a bottomless well. We ate lunch, but I couldn’t look her in the face any longer. I didn’t want to fall down the well of somebody else. I could sense that she’d realized something, but as usual she didn’t say a word. As she breathed, her breath seemed to mirror the movement of the iridescent blotch floating on the ceiling.
Once she finally left the room, I was able to hear the voice speaking within me again. So long as it speaks, I do not sleep. That I can hear it is due to there being two of us inside, or maybe more. Inside is far bigger than my body would imply from the outside. Nobody’s seen the inside, but it’s as big as outside. I live in an old house. Inside or outside, it’s still the same space, and if I open the door, light comes in. A warm light bathed by the hues of plane trees and the chalky ground. The image comes in as well. It is reflected. This double is a bit lower down: almost softened. Like velvet. It’s on the skin of a peach, in warm tones, that a world exists inside me.
T. Podilsky, Orange. Brussels: Éditions Mars, 1992.
Amélie Lucas-Gary writes novels.
As she was moving, in order to remember the house she was leaving, she began to paint from life, at home, and then in places where she spent time. In this way, between 2021 and 2023, she completed some two hundred small-format gouaches on cardboard.
Sixty-four of them are printed in Mauve, a book whose publication by September Books accompanies Pêche, Amélie Lucas-Gary's exhibition at the gallery.