Anne Neukamp
Hugo Pernet
Simon Rayssac
Bertrand Segers
Benjamin Swaim
Allison Blumenthal
Emmanuelle Castellan
Olivier Filippi
Frederic Houvert
Colombe Marcasiano
Daniel Mato
Je n’ai aucune éducation religieuse, mais cette phrase prononcée par Jésus dans l’évangile de Jean est le premier extrait de la Bible que je comprends et qui me paraît faire sens, dans ma vie personnelle et d’un point de vue général. Peut-être parce qu’elle pourrait tout aussi bien être extraite d’une parabole taoïste que d’un livre d’Emmanuel Hocquard. Le vent souffle où il veut est un « énoncé simple » au sens où Hocquard l’entend, c’est-à-dire une phrase qui ne décrit rien de plus qu’une réalité observée et observable, et qui la contient toute entière : « Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va ». Évidemment, si on élude la dimension métaphorique, le pragmatisme de cette affirmation s’approche d’une forme d’idiotie chère au poète français.
La première fois que je suis tombé sur cette phrase, c’était dans Un condamné à mort s’est échappé, le film de Robert Bresson, dont le titre complet est Un condamné à mort s’est échappé ou Le vent souffle où il veut. Je me suis demandé ce qui avait poussé Bresson à hésiter au point de choisir de ne pas trancher. En proposant ce double titre, le cinéaste semblait mettre un signe égal entre les deux propositions. Dans ce film, un résistant français arrêté et condamné par l’occupant allemand s’échappe d’une prison de la région lyonnaise, en vertu d’une force vitale, élémentaire, d’une soif de liberté qu’on tentait en vain de contraindre et de réprimer.
Qu’on soit partisan d’une interprétation littérale ou métaphorique de cette formule, l’idée qui en ressort est celle d’une énergie incontrôlable, de l’impossibilité de prévoir les mouvements de l’avenir, et donc de l’inutilité de se projeter dans des récits qui de toute façon ne se passeront pas comme prévu, tomberont à l’eau ou même tourneront à la catastrophe. L’histoire récente de la peinture semble faite de ces désillusions qui ont suivi les grandes idées modernistes, désillusions et déceptions qui devaient logiquement mener à la paralysie ou à la « fin de l’art », qui pourtant n’est jamais arrivée. C’est justement cette absence d’une logique inhérente à l’Histoire que l’allégorie du vent suggère.
Que le titre désigne ici l’éclectisme supposé des artistes réunis ou l’impossibilité de lire dans leurs travaux une direction commune et unanime – ce qui nous intéresse est cette notion de liberté propre à chaque individu, mais aussi aux formes elles-mêmes quand il s’agit d’échapper à la fois aux catégories du passé, aux prospectives hasardeuses et au goût du moment.
Hugo Pernet
Août 2022