Confort moderne
De la rue, l’imposant bureau en zébrano sur lequel est posé une maquette de grand ensemble induit une alerte dans l’esprit du passant devenu soudain observateur. A l'aperçu de la photographie en plan large dressée en vis-à-vis de la bibliothèque, le questionnement émerge : que cherche-t-on à figurer ainsi ? La représentation d’un bureau d’architecte ou de constructeur au milieu du siècle dernier ? Pourquoi ici et maintenant ? La seconde salle, avec ses scènes d’intérieur datées, pourrait confirmer l’impression décorative laissée par la première, si la série photographique de Nicolas Moulin, ses maquettes, ne projetaient une forme de tension dans chacune des pièces (bureau, salon, salle à manger…) reconstituées pour l'occasion. Cités-dortoirs sans âme, édifices mégalomanes en passe de s'effondrer, autant de no-man's lands, au sens premier du terme, créés par l'artiste, comme un réquisitoire envers une architecture qui aurait oublié de servir l'homme ou que l'homme aurait désertée.
Et pourtant les grands ensembles apparus dans les années 50 ont été salués comme un progrès indiscutable dans des pays où se posaient simultanément la question du manque de logements et celle du mal-logement.
Le contexte ainsi posé sera source d’un formidable élan dans les domaines de l'architecture et du design avec en embuscade la question budgétaire qui rapidement orientera la décision politique vers la construction de logements collectifs au détriment de la maison individuelle. Rotival contre Prouvé. La messe est dite. D’autant que ce nouvel urbanisme est auréolé des couleurs de la modernité, avec ses espaces verts, ses terrains de sport, ses crèches et ses écoles qui, au pied des immeubles, composent la cité nouvelle, la cité radieuse. L’aménagement intérieur n’est pas en reste : cuisine équipée, toilettes particulières, salle de bain, chauffage central, vide-ordures… sont autant de signes d’un confort domestique dont on ne pourra plus se passer désormais.
En parallèle de cette organisation naissante découle la nécessité pour ceux qui ont tout perdu pendant la guerre, l’envie pour les autres, de se doter d'un ameublement aux lignes contemporaines, en écho aux propositions des fabricants de l’époque. Car la Reconstruction a opéré une révolution dans certains ateliers. Pour s’adapter aux budgets serrés et aux petites surfaces de ce nouvel habitat, la série a remplacé l’exemplaire unique, le bois s’impose dans ses essences les plus communes (hêtre, chêne), les aménagements intégrés, les meubles évolutifs, font leur entrée dans les intérieurs… Les créateurs René Gabriel, Marcel Gascoin, Roger Landault, dont certaines des pièces sont présentées ici, mais aussi Charlotte Perriand, Louis Sognot et bien d’autres encore, vont mettre leur talent et leurs innovations au service de ce moment unique dans l’histoire de la nation. Autant de signatures qui symbolisent les espoirs d’un monde nouveau quand le travail de Nicolas Moulin en capture ses revers.